L’affaire Trayvon Martin

Un acte raciste déguisé en légitime défense ?

Si la France a connu son affaire Mohamed Merah dont les soubresauts continuent de la secouer, les Etats-Unis n’ont pas été en reste cette semaine avec une déferlante de fond, touchant tous les médias, concernant un jeune afro-américain de 17 ans abattu par un blanc de onze ans son aîné. Ce dernier plaide la légitime défense alors que les faits tendent plutôt à prouver le meurtre raciste. Et si l’affaire fait grand bruit, c’est parce qu’elle se déroule dans un des Etats les plus tolérants en ce qui concerne le port d’armes, la Floride, sur fond de précampagne électorale présidentielle, relançant l’éternel débat sur le port d’armes.

Retour sur les faits

Revenons-en aux faits d’une apparente banalité pour mieux comprendre ce drame qui traumatise l’Amérique. Le 26 février dernier, en visite chez son père, Trayvon Martin se passionne pour un match de basket-ball diffusé à la télévision. A la mi-temps, il se rend à un petit magasin, un 7-Eleven, pour se constituer un encas. La bruine le force à rabattre sa capuche sur sa tête. En sortant de la supérette, George Zimmerman le remarque aussitôt et appelle la police déclarant qu’il est en train de suivre le jeune homme qu’il considère comme un individu suspect. Il précise au téléphone qu’il s’agit d’ « un type louche qui a l’air de préparer un coup » portant « une capuche sombre et quelque chose de bizarre à la main ». Un jeune noir, la capuche engoncée sur la tête, ne peut être que suspect pour George Zimmerman, qui n’est ni flic ni vigile mais juste capitaine de la Neighbordhood Watch, une milice de quartier. Il décide de suivre Trayvon malgré l’injonction inverse du dispatcher de la police qui lui promet même d’envoyer une patrouille. Le justicier aurait alors grommelé « Il a l’air noir » d’après le journal Miami Herald. Selon d’autres enregistrements, il aurait rapporté à un autre interlocuteur les propos suivants : « Ces trous du cul s’en tirent toujours. »  Trayvon se sent suivi par Zimmerman, sorti de son 4X4, et téléphone à sa petite amie qui rapporte la scène suivante : «Il m’a dit que cet homme le regardait, alors qu’il avait mis sa capuche. Puis il a dit qu’il l’avait semé. Je lui ai dit de courir, mais il ne voulait pas» puis «Trayvon a dit : « Pourquoi vous me suivez? » et l’homme a rétorqué: « Que faites-vous ici? ». Le téléphone a ensuite été coupé. L’adolescente a essayé de le rappeler mais en vain.

Les officiers de police finissent par arriver et découvrent Zimmerman le nez en sang avec le cadavre de Trayvon gisant à plat ventre par terre à quelques pas de la maison de son père, une balle en pleine poitrine. Le tueur plaide aussitôt la légitime défense. La police ne daigne même pas l’arrêter et le laisse tout simplement repartir libre, en toute impunité. L’ « individu suspect » n’avait pas de casier judiciaire, ne portait pas d’arme sur lui, avait revêtu sa capuche pour se protéger de la légère pluie et le « quelque chose de bizarre à la main » était constitué d’une canette d’Iced Tea et d’un paquet de Skittles.

Une forte mobilisation contre une injustice flagrante

Or, là, se situe tout le problème. Dans cet Etat, paradis des armes, surnommé à juste titre « Gunrise State », la Floride possède un des textes les plus permissifs au monde, le « Stand your ground » (littéralement défend ton territoire) qui autorise quiconque à sortir une arme dès qu’il se sent menacé. Le 10 avril prochain, un Grand Jury va se réunir pour statuer sur le cas de George Zimmerman et déterminer s’il était réellement en danger et s’il était poursuivi par le jeune afro-américain. Son père a d’ores et déjà mis ses origines latines en avant pour prouver que cela ne pouvait pas être un crime raciste d’autant plus que son fils a toujours vécu dans un environnement de mixité sociale. Face à la médiatisation de l’affaire, le FBI et le ministère de la Justice américain ont finalement ouvert une enquête le 19 mars dernier.

Des manifestations ont eu lieu rassemblant à chaque fois des milliers de personnes entonnant un unique refrain : « Nous sommes tous des Trayvon Matin. » Une pétition « Justice pour Trayvon Martin », réclamant en autre l’arrestation de son meurtrier, a déjà rassemblé plus d’1,5 millions de signatures. Des stars ont pris fait et cause pour celui qu’il considère comme une innocente victime : John Legend, Cher, Russel Simmons, Spike Lee, P. Diddy, Common, Vivica Fox, Roseanne Barr, Kimora Lee Simmons, Joel Madden ou encore l’acteur Will Ferrel qui a twitté le message suivant : «Je vis dans un pays où l’ homme qui a jeté de la farine sur Kim Kardashian a été arrêté mais l’homme qui a tué Trayvon Martin est encore libre.» Même le Président américain, Barack Obama, pourtant peu prompt à la récupération politique de faits divers, s’est emparé de l’affaire et a déclaré : « Si j’avais un fils, il ressemblerait à Trayvon Martin. » exigeant que « toute la lumière soit faite sur cette tragédie. »

Une tragédie qui réveille de vieux démons

Car c’est bien une tragédie qui s’est emparée des Etats-Unis. Le pays replonge dans ses travers et semble revenir à des temps pas si lointains où un policier blanc pouvait tabasser voire tuer un homme noir en toute impunité, presque sans en être inquiété par la justice. Avec l’élection de Barack Obama à la tête de la plus ancienne des démocraties, on croyait cette page définitivement tournée. Or, avec ce fait divers tragique, on se rappelle qu’il n’en est rien. Tout ceci n’est, en fait, que d’une apparente banalité dans l’Amérique contemporaine remplie de préjugés raciaux, habituée à l’incurie policière et donc à la prolifération des patrouilles privées ainsi que des armes à feux. Le débat sur la place de ces dernières s’en trouve relancé alors que les ventes explosent à nouveau en précampagne électorale, rappelant l’année 2008 où les magasins avaient été dévalisés dans la crainte de l’élection d’un Président qui aurait durci les conditions d’accès aux armes. En 2004, on comptait déjà presque autant d’armes à feu en circulation que d’habitants (283 millions pour 300 millions).

En attendant, le Grand Jury aura à répondre à quelques épineuses questions. Pourquoi George Zimmerman n’a-t-il pas obéi à la police ? Comment aurait-il pu devenir l’agressé alors qu’il suivait un jeune homme de onze son cadet non armé alors que lui-même le pistait, un calibre de 9mm à la ceinture et l’avait décrit comme un potentiel suspect ? Et surtout, pourquoi les policiers ne se sont-ils pas livrés aux différents tests en vigueur : consommation d’alcool ou de stupéfiants sur la personne de George Zimmerman, pourtant obligatoires en cas d’homicide ? Le chef de la police locale, se sentant dans le viseur, s’est d’ores et déjà auto-suspendu de ses fonctions. Pas sûr que ce geste symbolique suffise à calmer les esprits. Il en faudra plus. Comme un semblant de justice, tout simplement, et non sa parodie.

2 thoughts on “L’affaire Trayvon Martin

  1. admin says:

    Le problème c’est qu’en France la prison à vie n’existe pas et qu’aux Etats-Unis elle est remplacée par la peine de mort dans plusieurs états en cas d’homicide. Et surtout dans le cas présent, le tueur se pavane en toute liberté…

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