Prix de l’essence : une vaste fumisterie ou un juste prix?

Fulminant devant la hausse continue des prix, j’ai décidé de me pencher sur la question en compilant des données brutes et une multitude d’articles sur la toile. Partant de mon ressenti, j’ai tenté de comprendre comment se faisait le prix d’un litre d’essence, quel était le poids des taxes si souvent décriées, pourquoi on se retrouvait à un niveau de prix en ce début de mars 2012 équivalent à celui de juillet 2008 (date du pic historique du baril de brent) et quelle en était son explication avant de faire un tour d’horizon des perspectives d’avenir en guise de conclusion.

Un constat tout personnel

Depuis décembre 2003, date d’acquisition de mon véhicule diesel (aujourd’hui ce carburant représente 77% de la consommation française de carburants) avec filtre à particule (FAP) censé être moins polluant*, le prix à la pompe est passé de 0,77€/L à 1,399€/L en 8 ans et demi soit une hausse fulgurante de 82%.

Je me rappelle que durant mon adolescence un litre d’essence coûtait un prix presque tabou, que l’imaginaire collectif ne pouvait déjà pas concevoir : 5 francs soit 0,76€ (0,55€ pour le diesel). Or, il fut atteint dès 1984 avant de redescendre puis de stagner dans ces eaux-là jusqu’en 1990, date de la première guerre du Golf qui allait embraser le monde… et les prix du brut. Dès lors, ces derniers allaient littéralement s’envoler. J’entendais souvent dire qu’à ce prix-là, ça ne serait plus possible ou entendre autour de moi des propos du style : « mais qu’attendent les gens pour se révolter ? »

J’ai ainsi le net sentiment que lorsque le prix du pétrole augmente, le prix de l’essence augmente encore plus vite. Et que quand les prix du brut se dégonflent, ceux à la pompe tardent en revanche à suivre le pas. Qu’en est-il également des taxes que l’imaginaire collectif situe toujours autour des 80% ? J’ai voulu me plonger dans les historiques des prix en ayant bien en conscience du nouveau triptyque apparu en 2002 : prix du pétrole en dollars, conversion euro-dollar et prix à la pompe en France.

Comment est fixé le prix de l’essence ?

Pour commencer, il convient de déterminer ce qui constitue le prix de l’essence. Six facteurs rentrent en jeu: le prix du pétrole brut, les taxes, le taux de change, les coûts et la marge de la compagnie pétrolière (coûts et marge du raffinage et distribution), l’offre et la demande sans variation du prix du pétrole (pendant les vacances scolaires par exemple ou en hiver quand la demande de gazole est plus forte) et enfin le prix des éventuels biocarburants ajoutés (marginal dans les cas pris en compte ici).

Concernant les taxes, elles sont au nombre de 2. La TVA varie en fonction du prix du baril tandis que la TICPE est constante, ne dépendant aucunement de ces fluctuations. Au final, les variations du cours de baril n’affectent qu’un peu plus de la moitié du prix à la pompe. Il est donc erroné d’affirmer que plus le prix monte et plus les taxes montent, c’est même l’inverse qui se produit. Du fait de la TICPE (anciennement TIPP) presque fixe, la part des taxes diminue quand le prix de l’essence monte et inversement. Depuis 1999, date d’une nouvelle envolée des prix à la pompe, elles n’ont cessé de baisser. De 82% pour l’essence et 78% pour le diesel, nous sommes passés respectivement à moins de 60% et moins de 50%. Si le pourcentage de taxes baisse, cela ne signifie évidemment pas que l’Etat remplit moins bien ses caisses. En 1999, nous étions à 0,62€ pour le diesel et 0,90€  pour l’essence soit 0,48€ de taxes et 0,73€. Fin 2011 avec des prix de 1,30€ et 1,45€, l’Etat récupérait ainsi 0,65€ et 0,87€ de taxes sur chaque litre.

2008 et 2012 : deux situations différentes pour des prix à la pompe identique

Essayons ensuite de comprendre pourquoi l’essence se retrouve en 2012 aussi chère qu’en juillet 2008, période où le pétrole avait atteint son pic historique. Le 3 juillet 2008, le prix du baril atteint en séance 145,330$, le record absolu, inégalé depuis. La parité euro/dollar touche, quant à elle, également des sommets s’établissant à 1,6038 le 15 juillet 2008. Le prix à la pompe flambe en toute logique et le diesel atteint 1,42€ tandis que le SP95 flirte avec la barre impensable des 10 francs à l’époque, soit 1,50€. Trois ans et demi plus tard, le 2 mars 2012, le baril de pétrole est à 123,63$, la parité €/$ à 1,3198 et le prix du diesel à 1,399€ tandis que le SP95 dépasse 1,60€.

Deux constats peuvent être établis    : le premier est qu’à la faveur d’un hiver plus doux et tardif, le différentiel entre le gazole et l’essence a eu tendance à demeurer modéré, la demande en fuel domestique ayant été moins forte. Depuis deux ans, on remarque un resserrement de l’écart se rapprochant des 10 centimes même si on reste loin des 4 petits centimes de l’été 2008. Nous avons donc en ce moment 20 centimes d’écart entre les deux ce qui est plutôt rare. La politique gouvernementale a toujours consisté à augmenter les taxes sur le diesel historiquement plus faibles du fait qu’il est utilisé par les professionnels.

: le deuxième concerne la similarité des prix pour un baril pourtant 15% moins cher. La réponse unanimement apportée par tous les acteurs du secteur se tourne vers l’euro. Vu que les achats de brut s’effectuent en dollar, plus l’euro est élevé plus il permet de contrebalancer le prix d’achat pour le consommateur européen. En clair, à prix constant du baril en dollar, il augmentera en Europe si l’euro s’affaiblit. Pour revenir à notre exemple de 2008, le prix en euro du baril revient à 90,61 (145,330/1,6038) contre 93,97 en 2012 (123,63/1,3198). Evidemment le calcul s’avère plus compliqué que cela puisque les prix s’établissent sur des moyennes (baril à 1 mois, 3 mois ou 6 mois) et non sur un jour unique. Toutefois cet exemple illustre la situation et a le mérite d’expliciter l’influence de la fameuse parité euro/dollar sur le prix du pétrole en Europe. En conclusion, nous pouvons dire qu’il y a une certaine logique pour que les prix soient aujourd’hui à un niveau proche de 2008 en se basant sur le seul prix du pétrole. En revanche, le prix du baril n’a atteint ces niveaux qu’à la faveur de la tension internationale autour de l’Iran permettant au baril de prendre 10$ et à peu près autant d’euros en un seul mois alors qu’il se situait plutôt autour des 110$ depuis mai 2011.

Et si l’explication venait d’ailleurs ?

Cependant, alors que se produisait une chute du prix du baril de pétrole en 2008 le ramenant à un niveau très bas aux alentours de 40$ (33,87 même le 19/12) et malgré une baisse de l’euro (tombé à 1,25€), le prix du diesel peinant à repasser à la baisse la barre symbolique de 1 euro tandis que celui de l’essence restait solidement accroché à 1,10 euro. Proportionnellement, le prix n’a donc pas baissé autant que le cours du baril à la pompe en cette fin 2008 (75% contre 35% en schématisant même si nous avons vu ci-dessus que les variations du cours de baril n’affectent qu’un peu plus de la moitié du prix à la pompe). L’UFIP (Union française des industries pétrolières) nous fournissait une explication savoureuse estimant  qu’en 2008 « le prix de l’essence était très bas début juillet » et que la baisse des prix répercutée bien plus tard que celle du baril provenait d’un « rééquilibrage naturel ». En clair, selon eux, l’usager ne payait pas le vrai prix avant, ce qu’il faisait en revanche par la suite à la fin de l’année.

Ceci est d’autant plus étrange que les prix que nous connaissons actuellement étaient les mêmes qu’à la mi-novembre avec un baril proche des 110$ et un euro proche des niveaux actuels. De là à dire que la différence va dans les poches des groupes pétroliers, il n’y a qu’un pas que va oser franchir un député UMP. Selon lui, les compagnies pétrolières en profitent pour augmenter allègrement leurs marges à la faveur d’événements géopolitiques. Une enquête officielle a même été commanditée pour faire la lumière sur ces pratiques dont il ne sortira évidemment pas grand chose. Une simple recherche sur google laisse apparaître clairement une vérité que personne ne pourra nier : chaque année la presse se gargarise des résultats historiques de Total en mettant en avant ses bénéfices records (2005, 2006, 2009, 2011…) pour atteindre le montant astronomique de 12,27 milliards en 2011 proche de celui de 2008 (13,9). Pour Thomas Porcher, interviewé sur RMC, professeur à l’Ecole supérieur de Gestion : « Total ne fait que profiter de la spéculation sur les prix du pétrole ». Il ajoute que « ces bénéfices records ne proviennent pas du travail, ils ne sont pas liés à une productivité ou à la découverte de gisements exceptionnels. Ce bénéfice va aller à 50% aux actionnaires, à 40% dans l’investissement à l’étranger et à 10% aux salariés ». On ne saurait être plus clair. De même, en examinant attentivement les différents graphiques, on peut repérer que les carburants augmentent régulièrement de 1991 à 1998 alors que le prix du pétrole demeure stable dans l’ensemble sur la même période. Concernant les marges brutes de raffinage, de transport et de distribution, elles se situent entre 10 et 20 centimes de 2008 à 2012 avec toutefois une hausse moyenne de 5 centimes( http://france-inflation.com/evolution_des_marges_dans_prix_des_carburants.php )

Le mot (pessimiste) de la fin

En conclusion, les prix de l’essence ont grimpé plus vite que l’inflation (en se basant sur une moyenne de 2,5% par an). Ceci est dû à un tas de facteurs complexes. Gageons que la hausse continue de la marge brute et que les bénéfices de Total ne sont pas étrangers à ce tour de passe-passe qui ne dupera personne. D’ailleurs, le PDG de Total, Christophe de Margerie, a largement commencé son travail de sape pour préparer les cerveaux à un prix de l’essence à 2 euros en faisant la une de tous les quotidiens en avril 2011 déclarant que la possibilité d’atteindre ce prix « ne fait aucun doute » précisant que « la vraie question, c’est quand ». En 2008, une autre cause avait été avancée, celle de la spéculation qui représentait alors selon divers spécialistes environ 20% du prix du baril sans véritable preuve. L’effondrement du baril par la suite passant de 145$ à 35$ en 6 mois accrédite toutefois l’hypothèse d’une spéculation avec l’effondrement de la bulle à l’image d’un krach en bourse. Citons aussi les membres de l’OPEP avec à leur tête l’Arabie Saoudite qui a réévalué le juste prix du pétrole à 90$ contre 75 auparavant. Ils ne veulent plus donner le sentiment de brader leur principale richesse appelée à disparaitre d’ici moins de 50 ans. D’ailleurs dans ce but, ils cherchent à privilégier le prix plutôt que le développement de la production avec une évolution dite en plateau. L’équilibre est recherché entre demande et production pour plafonner le niveau de barils par jour autour des 100 millions. L’OPEP veut ainsi éviter le fameux pic de Hubbert  (du nom du géologue américain qu’il l’a prédit en 1956) qui veut que la production atteigne un sommet avant de s’effondrer. En outre, on peut penser que la part des énergies fossiles dans la production énergétique variera peu d’ici 20 ans (stagnant autour des 75%) ( http://www.planete-energies.com/fr/l-energie-au-quotidien/les-energies-en-chiffres/le-prix-de-l-energie/le-prix-des-carburants-200032.html ) ce qui contribuera à maintenir la hausse des prix à la hausse rendant plus que jamais nécessaires voire indispensables les économies d’énergie pour canaliser au maximum cette hausse. Enfin, les compagnies pétrolières justifient également une hausse du prix de pétrole et de raffinement en raison d’un pétrole de moins bonne qualité et devenu plus difficile à extraire. Cette tendance ne va faire qu’empirer selon eux et également contribuer à une hausse soutenue des prix. Alors à l’avenir, prenez exemple sur la Présidente du FMI, Christine Lagarde, qui nous suggérait dès novembre 2007  (alors qu’elle occupait le poste de Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie) de prendre les vélos, faire du covoiturage ou encore utiliser les transports publics affirmant que quand on n’a pas de pétrole, on doit avoir des idées. Je vous laisse méditer ses propos…

 

*J’ai découvert depuis que cette assertion se révèle en grande partie mensongère. Pour connaître la pollution engendrée par un véhicule, il ne faut pas se contenter de prendre en compte sa partie « vivante ». Il convient de prendre en compte l’intégralité du processus, de sa conception à son recyclage. Et là, il apparaît qu’un véhicule diesel est toujours plus nocif pour l’environnement que son équivalent essence. En outre, même si une voiture est équipée d’un FAP, il va certes émettre moins de CO2 qu’un moteur à essence mais il continuera d’émettre en plus grande quantité d’autres substances plus nocives encore. Le mythe d’un véhicule propre a encore de beaux jours devant lui. Pour preuve, la voiture électrique dont les batteries posent énormément de tort à l’environnement à toutes les étapes sans même parler de l’électricité elle-même. Peut-on réellement considérer comme propre un tel véhicule propulsé principalement par de l’énergie nucléaire produite en France ?

3 thoughts on “Prix de l’essence : une vaste fumisterie ou un juste prix?

  1. Tcho says:

    De toute façon, tout ce qui se fabrique nécessite processus demandant souvent de l’énergie, alors on a pas fini de se plaindre que même en construisant des barages hydrauliques, on dépenses de l’énergie, etc.

    Mais bon, le tout ce n’est pas de ne plus rejeter de gaz nocif, sinon, on respire plus, mais plutôt d’en dégager drastiquement, donc tous à l’électrique, à l’éolien et au solaire, j’y crois !

    Que va faire total quand il n’y aura plus de pétrole ??

    L’essence est cher parce qu’on sait qu’il y en de moins en moins et qu’on en veut de plus en plus : les chinois, indiens, brésiliens, russes et autres populations issus des pays émergent deviennent les marchés les plus importants en termes de volume de ventes de véhicules et demandent certainement plus de pétrole qu’avant

    C’est pas près de s’arrêter et tant mieux parce que le pétrole est souvent décrit comme la cible officieuse de pas mal de conflits (à tort ou raison), permet à des dictateurs de détourner encore plus de thunes et est nocif

    Bref, bon débarras

    PS : Man Utd 2- 3 Athletic Bilbao

  2. admin says:

    Oui c’est clair que les gisements de pétrole et de gaz sont sources de tensions internationales. On le voit bien en ce moment avec l’Iran.

    Un autre problème a été soulevé dans le documentaire Collapse à ce sujet. Si vraiment, on n’arrive à une pénurie de pétrole alors le système sur lequel on repose aura dû être entièrement repensé puisque le pétrole est absolument partout. Et même dans l’énergie propre comme le vélo par exemple, on avance tout de même sur du pétrole (pneus, chambres à air) sans compter que toutes les pièces transitent par bateau ou avion grâce au…pétrole. Jusqu’à notre dentifrice, nous sommes envahis. Le documentaire finissait sa démonstration en disant que quand la fin arriverait, il y aura intérêt à avoir un réseau en excellent état avec des ponts refaits à neuf car on a encore rien trouvé de mieux que le pétrole pour fabriquer des routes. Les plus optimistes miseront sur la science. A méditer…

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