Dimanche : des résultats avant l’heure, mythe ou réalité ?

Jeudi matin sur France Info, Pascale Clark, dans son émission, en parlait très bien, évoquant, non sans ironie, le privilège du journaliste qui distillait la nouvelle autour de lui et la répandait dans sa famille avec un air supérieur de conspirateur. Mais ce privilège est supprimé. Internet avec ses réseaux sociaux, véhiculant la nouvelle presque en temps réel, a tout bouleversé. En 2007, internet était déjà là et la polémique aussi. N’en déplaise à ceux qui relient cette invention aux seuls mots Twitter et Facebook.

Oui, je me rappelle parfaitement d’un après-midi de mai 2007 où je me suis installé devant mon ordinateur (vers 17H30 si ma mémoire ne me joue pas de mauvais tour) à la recherche de sites d’informations belges et suisses. J’avais trouvé mon bonheur assez rapidement de l’autre côté des Alpes, annonçant un brin fataliste à mon épouse la victoire de Nicolas Sarkozy avec 53% des voix contre 47% à sa rivale. Jean-Marc Morandini avait un temps fanfaronné en annonçant à grand renfort de publicité que lui, loin de se dégonfler comme tous les autres, allait briser le tabou et publier sur son site les résultats avant de renoncer à son projet fou. A l’époque la controverse avait moins agité les médias qui rivalisent désormais d’articles dans cette dernière ligne droite pour mettre en garde ceux qui publieront les résultats avant tout le monde. Nos amis suisses et belges se sont empressés de déclarer qu’ils ne changeront pas leurs habitudes. C’est notamment le cas de Christian Dauriac, le directeur de la rédaction de la RTBF, qui a simplement rappelé ce truisme à l’AFP: « Nous ne sommes pas concernés par la loi française. Nous ferons donc notre boulot de journalistes en faisant circuler l’information et en donnant les résultats dès qu’ils seront disponibles » avant d’ajouter avec un brin de malice : « Ils peuvent toujours faire leur plainte ! Il semble que les technocrates ont toujours beaucoup de mal à comprendre que la loi française ne s’applique pas en Belgique ». Encore heureux aurais-je envie d’ajouter !

Incapables de museler la presse étrangère dans son ensemble, ceux qui veillent sur nous ont alors décidé de s’en prendre à vous et à moi, au simple quidam quoi. La Commission des sondages et la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale annoncent derechef la nomination de dix personnes pour surveiller la toile afin de repérer le moindre contrevenant français. Elles menacent de sanctions allant jusqu’à 75 000 euros ainsi que de poursuites pénales quiconque s’amuserait à diffuser les estimations avant 20 heures. Et comme si ces intimidations ne suffisaient pas, c’est le parquet de Paris par la voix de son procureur, François Molins, qui a pris la suite : « En concertation avec la police judiciaire parisienne, un dispositif a été arrêté permettant au parquet de Paris, en cas de violation de cette interdiction, de saisir immédiatement pour enquête la brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP) de la direction régionale de police judiciaire ». Rien que cela.

Et pourquoi tant de zèle à vouloir maintenir le secret jusqu’à 20 heures ? En 2007, le résultat n’avait pas été influencé d’un iota par ces estimations venues de Suisse et de Belgique ni en 2002 d’ailleurs quand les Guignols de l’info nous pressaient de nous rendre aux urnes car une mauvaise surprise se précisait. On nous explique qu’il y aurait là une rupture d’égalité qui serait susceptible d’influencer les votes, poussant les uns à se rendre aux urnes pour aider leur chouchou en ballotage favorable ou, au contraire, les démotivant soit à cause d’une trop grosse avance ou d’un retard trop prononcé. Et pour accentuer la pression, on laisse même entendre que l’élection pourrait être tout simplement annulée en cas de plainte d’un candidat qui s’estimerait lésé. Certains médias ont depuis fait machine arrière en nuançant ce dernier argument sorti de nulle part. Nicolas Sarkozy ne s’est pas dit choqué si la nouvelle des résultats devait être connue à l’avance, ironisant même sur la question de la presse étrangère : « On ne va quand même pas faire une frontière numérique entre la France et tous les autres pays du monde pour interdire aux autres de communiquer avec la France ». C’est justement dit. Et pour cause, l’intéressé sera déjà au courant depuis fort longtemps quand l’information redescendra aux oreilles de son bas peuple. Car c’est bien cela qui énerve les bien-pensants, les 100 000 personnes au-dessus de toute le monde que dénonçait François Bayrou dans sa campagne présidentielle 2007 : perdre leurs petits privilèges comme le soulignait Pascale Clark. Or celui de posséder l’information et de la verrouiller était le leur. Oui, mais voilà, le monde change et il faudra bien s’y faire ! Pour l’heure, seule Libération semble l’avoir compris puisque Nicolas Demorand, son directeur, a pris la décision d’annoncer avant l’heure les résultats avec toutefois quelques garde-fous : « si l’écart est net et les sources fiables ». Je ne sais pas vous mais, moi, je sais d’ores et déjà où je vais me trouver aux environs de 18H30. Dans la peau d’un nanti qui sait avant les autres. Seulement moi, je ressortirai illico de mon costume, à la différence de ceux qui nous dirigent et nous gouvernent.

5 thoughts on “Dimanche : des résultats avant l’heure, mythe ou réalité ?

  1. Nerdebeu says:

    Je suis assez d’accord avec tout ce que tu dis, je mettrai quand même un bémol quant aux Guignols.

    D’une, à quelle heure les Guignols ont il débuté, mais, et surtout, il ne faut pas oublier que le nombre de personnes regardant Canal à cette heure (mais également en général) un dimanche est très faible et que le public de cette chaîne est très majoritairement orienté à gauche.

    L’influence d’une info relayé par eux (les Guignols), à cette époque, est toute relative. Potentiellement, l’influence des médias sociaux pourrait être autre. Je dis bien potentiellement.

  2. admin says:

    Je suis aussi d’accord avec toi sur l’analyse. De mémoire, en 2002, les Guignols avaient dit d’aller se dépêcher d’aller voter car une surprise se préparait quelques minutes avant 20H donc presque à la fermeture des bureaux de vote dans les grandes villes. Et effectivement, les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle. Par contre, en 2007, j’ai eu l’info avant 18H comme beaucoup de gens je pense qui avaient l’habitude d’internet et le résultat n’a pas du tout été influencé, restant conforme aux prédictions (53/47). Le risque pourrait être plus réel si l’élection se jouait à quelques voix près. Et encore, je ne suis même pas sûr que cela fasse réellement bouger ceux qui ne l’avaient pas fait jusque-là. Le réel vainqueur, à défaut de reconnaître le vote blanc comme un suffrage exprimé, risque bien d’être l’abstention! A suivre…

  3. Les résultats avant l’heure, je trouve que ça fait un bien beau faux problème. Un bouc émissaire usuel que ne renierait pas le FN…les bulletins à partir de 16h doivent être représentatifs du résultat final, amha, donc peu de chance de changer. Sauf bien sûr dans le cas où c’est très serré, mais si c’est le cas, le résultat n’est pas vraiment connu avant d’avoir le dépouillement de tout les bulletins.
    Bon bref, un homme politique qui n’a rien à se reprocher ne doit pas craindre de voir son score varier à cause des fuites.

  4. admin says:

    Nous sommes bien d’accord Sylvain. Vu le nombre de votants, c’est dur de peser sur une élection aussi majeure. L’écart infime en pourcentage entre Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin en 2002 était quand même de l’ordre de 233 196 voix. Comme tu le dis, les hommes politiques n’ont aucun risque de voir leur résultat respectif bouger en cas de divulgation du score dès 18H30.

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