Les jeux d’argent profitent de la crise

En tout temps, plus le moral décline et la crise pointe, plus les gens veulent du spectacle et des jeux pour oublier. Ce qui était vrai dans la Rome antique l’est aussi dans nos sociétés contemporaines. Les États-Unis, sorte de gourou spirituel des autres Etats, n’échappent pas à la règle. Leur loto, le Mega Millions, vient ainsi de proposer la somme record de 640 millions de dollars (oui, oui, vous avez bien lu !) soit environ 490 millions de nos euros. Trois heureux élus vont se partager ce pactole encore inédit dans le monde jusqu’à ce jour. Ils auront alors le choix entre encaisser chacun immédiatement 154 millions de dollars ou alors 213 millions répartis sur 26 ans.

Mega Millions avait incité les gens à jouer non sans préciser ironiquement – ou avec sadisme, au choix ! – qu’ils avaient moins de chance de gagner que de mourir frappés par la foudre ! Ceci n’a évidemment pas dissuadé les gens qui se sont rués sur les points de vente rêvant tous à des fortunes diverses. Or là est bien le problème. Je ne reviendrai même pas sur l’indécence de la somme, complètement ubuesque. L’ Europe a évidemment choisi la même voie, celui de la déraison. Le but n’est pas de répartir plus équitablement les sommes versées par les joueurs mais bien son contraire : donner tout à une seule personne. Ou comment faire rêver le pauvre. Et pourtant, les sociétés de jeux n’auraient même pas besoin de tels subterfuges. En période de crise, le peuple achète du rêve à renfort de grandes pièces. Pour preuve, la Française des jeux bat record sur record, avec en 2011  le meilleur cru de son histoire, en hausse de 8,5% par rapport à 2010 en ce qui concerne son chiffre d’affaires, soit 11,4 milliards de mises. Le cynisme n’a pas plus de limites.  « En période de crise, les marques comme le Loto et l’Euro Millions résistent bien car elles s’adressent avant tout au grand public », explique Christophe Blanchard-Dignac, le PDG de la FDJ. « Un des rôles de la loterie, c’est de faire rêver et de donner un petit moment de bonheur dans un univers de contrariétés », ajoute le patron de la FDJ. L’ Etat français applaudit des deux mains. Ses caisses se remplissent et son bon peuple peut rêver docilement.

On pourrait penser à tort que les Français et les gens en général (le phénomène est mondial) vont surveiller leurs dépenses et zapper ces dépenses irrationnelles mais il n’en est rien. Au contraire même. Jean-Pierre Martignoni, sociologue spécialiste des jeux d’argent, désigne cela par la « théorie de la pauvreté » : « plus on est pauvre, plus on joue ; plusieurs études ont déjà montré une corrélation entre la baisse des revenus et la hausse du jeu. Le paradoxe n’est pas nouveau, et a déjà été mis lumière par le passé: lorsque la conjoncture économique devient maussade, acheter un billet de Loto correspond à «un rêve, un désir de changer de vie», en décrochant une grosse somme d’argent ». Le but devient de se « refaire socialement » et de tenter de dépasser les difficultés du quotidien. Il assimile même les jeux d’argent à la bourse du pauvre : « aux yeux de nombreux joueurs modestes, les jeux d’argent s’apparentent un peu à la Bourse. Il s’agit alors d’un placement, qui peut permettre de gagner gros ».

Au vu de la crise actuelle, les entreprises de « rêve » n’ont donc pas fini de prospérer au grand bonheur des États, contents de récupérer une manne financière par un système de double taxe (TVA sur tickets puis impôts sur gains). Ce record en appelle donc d’autres, beaucoup d’autres même. Malheureusement.

MAJ 15-06-12: Suite à un trop grand nombre de messages indésirables, je me vois contraint de fermer la page des commentaires.