« Nous sommes des gens modestes »

Une formule choc destinée à accréditer la thèse d’un candidat populaire

Ces mots, qui ont rapidement fait le tour de la toile, ont été prononcés mardi dernier par Carla Bruni dans la loge de son mari, alors en direct sur le plateau de France 2, dans l’émission Des paroles et des actes. Alors que l’occupant de l’Elysée disait regretter la soirée du Fouquet’s, sa conjointe se fendait d’une voix bien assurée : « Nous sommes des gens modestes ». Ces propos ont été rapportés par un journaliste du Monde qui rapportera dans un article en date du 7 mars cette perle et quelques autres aussi[1].

C’est donc bien l’évocation du mot Fouquet’s qui déclenche la répartie de Carla Bruni. Pour rappel, Christian Estrosi avait eu une réaction à peu près similaire sur RFI, le 10 janvier dernier :« C’est indigne de reprocher à Nicolas Sarkozy d’aller dans une ‘brasserie populaire‘! »[2].  Les mots sont lâchés pour appuyer la tentative de reconquête de l’électorat populaire du candidat Sarkozy, symbolisant plus que tous ses prédécesseurs la connivence revendiquée avec la haute société et les milieux où l’argent coule à flot. C’était alors sans réserve que le Président s’affichait au Fouquet’s ou sur le yacht de Bolloré, arborant fièrement sa collection de montres oscillant entre 4 000 et près de 50 000 euros[3]. Jacques Séguéla le défendit même, en février 2009, sur ce dernier point avec un argument choc, là-encore mémorable : « Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie »[4]. Alors forcément, quand on est né avec une cuillère d’argent en bouche, un simple expresso à 8€ ou une pâtisserie à 17€ dans la brasserie populaire du Fouquet’s[5] paraissent peu de choses.

Une modestie toute relative

C’est là que le bât blesse. Car si dans les loges de France 2, elle regrettait l’absence d’objectivité des journalistes, tous de dangereux anarcho-communistes : « De temps en temps, ils donnent la parole à des journalistes de droite ? », même les plus complaisants estimaient sa fortune personnelle à près de 19 millions d’euros en 2008[6]. Dans cet article du Figaro, on pouvait lire le récapitulatif de ses biens : « A cela s’ajoute un héritage respectable. Carla Bruni est, en effet, la fille d’un riche industriel italien. Au décès de son père, Alberto Bruni-Tedeschi, en 1996, sa mère, sa soeur Valeria (actrice et réalisatrice), son frère (décédé en 2006) et Carla ont hérité de deux somptueuses demeures : le château Castagneto près de Turin, accompagné d’une coquette villa dans le Var. Par ailleurs, la chanteuse de «Quelqu’un m’a dit» possèderait deux appartements à Paris, le premier, place des Ternes dans le XVIIe arrondissement et un hôtel particulier près de la porte d’Auteuil. En tout, son patrimoine immobilier est estimé à plus de 10 millions d’euros. En additionnant le tout, la fortune de Carla Bruni s’élèverait donc à quelque 18,7 millions d’euros ». Bref, Carla Bruni est une fille du peuple qui s’est forgée à la seule force de son travail et qui vit chichement. Et elle est l’égale du Français moyen à 18,550 millions près (ou plutôt à 20,550 millions près puisque la fortune de son mari atteindrait les 2 millions d’euros) vu que le patrimoine moyen d’un ménage est estimé à 150 000 euros[7].

S’il n’est évidemment pas question de remettre en cause sa fortune ou même son utilisation dans ce billet, c’est bien l’utilisation du mot modeste qui est mis en exergue. N’en déplaise à Madame, les mots ont encore un sens. Et même si on peut figurer parmi les plus grosses fortunes et continuer une vie modeste, sans faste apparent et exempt de toute vanité, ce n’est pas exactement la vie qu’elle semble avoir choisie en demeurant constamment sous les feux des projecteurs, travaillant même durant des années dans l’industrie qui véhicule justement le message inverse et symbolisant la richesse ainsi que la puissance extrêmes : la haute couture. Son côté jet-setteuse, enchaînant les couvertures de la presse à sensation en compagnie de plusieurs personnalités (Mick Jagger, Eric Clapton, Charles Berling, Vincent Pérez, Arno Klarsfeld, Laurent Fabius…) discrédite plutôt la thèse à laquelle elle semble croire d’une vie modeste. Serait-elle adepte de la méthode Coué ? En point d’orgue se dresse son mariage présidentiel, en toute modestie bien sûr…

Le mot de la fin?

Le décalage apparaît bien réel entre une Première dame qui doit être persuadée de vivre modestement sans se rendre compte de la réalité du quotidien du Fançais moyen. Sa perception de la réalité sociale française est clairement faussée. Il ne saurait sûrement en être autrement pour quelqu’un qui n’a jamais souffert d’un manque matériel dans sa vie et qui vit recluse dans son château avec une batterie de domestiques et de conseillers à ses bottes. Le problème est bien là : elle ne se rend même pas compte de sa situation privilégiée. Comment ne pas penser à Marie-Antoinette qui déclarait il y a plus de 200 ans à un peuple affamé : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! »? Valéry Giscard d’Estaing avait dû être débarqué de l’Elysée afin de comprendre (en partie) ce décalage, avouant ne plus avoir jamais participé à une file d’attente ou avoir pris le volant après cet épisode de 7 ans, où les conseillers anticipaient ses moindres désirs. C’est tout le mal qu’on souhaite à la Première dame de France dans quelques mois !